Retraites : « La France à l’arrêt », l’impossible rêve des syndicats

L’amour a-t-il un parfum ? Ces derniers jours, la ville qui en est le symbole, en tout cas, en a un, et il n’a rien de romantique. Alors que la mobilisation contre la réforme des retraites se poursuit, les sacs-poubelles s’amoncellent sur les avenues les plus prestigieuses de la capitale. La grève des éboueurs n’a pas lieu seulement à Paris, mais aussi à Nantes, au Havre, ou encore à Antibes. Malgré cette manifestation très visible du mécontentement des agents, les appels à la règle reconductible après le 7 mars, poussée par certaines branches de la CGT et de la CFDT, ne fonctionnent pas vraiment.

Aux lendemains des journées de manifestation, l’adhésion diffère dans des secteurs habituellement en pointe dans les mobilisations sociales. Côté énergie par exemple, les expéditions de carburants étaient bloquées dans 6 raffineries sur 7 ce 14 mars. Mais ce mouvement n’est pas continu : les grévistes des raffineries TotalEnergie de Feyzin, dans le Rhône, et surtout celle de Gonfreville-l’Orcher, en Normandie – la plus importante de France – ont interrompu quelque temps leur mouvement ce week-end pour éviter un arrêt de la production. Si des actions spontanées – de coupures de courant ou d’électricité gratuite – sont réalisées par les électriciens et les gaziers, le réseau électrique global n’a pour l’instant pas été touché. A la SNCF, la circulation des trains reste encore perturbée, avec 3 TGV et Ouigo sur 5, 1 Intercités sur 3, 1 TER sur 2. Mais à la RATP, le trafic est redevenu quasiment normal, avec un fonctionnement assuré à 100 %. Les blocages routiers ne sont plus légion aujourd’hui, alors que plusieurs avaient été organisés début mars à Rennes ou à Abbeville. Même dans les villes où les éboueurs sont les plus mobilisés, comme à Paris, les ordures sont largement ramassées.

L’impact de l’inflation

Difficile, donc, de trouver un secteur où la France a été véritablement « mise à l’arrêt », comme l’a appelé de ses vœux Philippe Martinez. Le secrétaire général de la CGT a déjà d’ailleurs reconnu la difficulté d’un tel degré de mobilisation. « La France à l’arrêt, c’était une image, indiquait-il, interrogé au micro de BFMTV le 7 mars. On sait bien qu’il y a des salariés pour qui faire une heure de grève, c’est mi-caddie quand ils vont faire leurs courses. Evidemment, les chiffres des grévistes sont contrastés. » En dépit d’une mobilisation forte dans les rues et d’une opposition de beaucoup de Français à la réforme des retraites, l’intersyndicale ne se risque plus à souffler sur les braises d’un mouvement de blocage général. Le coût de la grève pour les salariés potentiellement grévistes – surtout en cette période d’inflation -, mais aussi des négociations ayant eu lieu en amont dans chaque secteur, semblent pour l’instant avoir eu raison du rêve syndical de la grève reconductible.

Dans le secteur où le mouvement est le plus visible – 5 600 tonnes de déchets s’entassaient sur le sol de la capitale ce lundi, d’après la mairie -, les éboueurs sont loin d’être tous en grève. A Paris, la situation est même extrêmement différente d’un quartier à l’autre. Les éboueurs sont partagés entre agents municipaux dans la moitié des arrondissements (IIe, Ve, VIe, VIIIe, IXe, XIIe, XIVe, XVIe, XVIIe et XXe), tandis que le reste de la ville est entretenu par des sociétés privées (Urbaser, Veolia Otalia, Derichebourg et Pizzorno).

Une grève « à tour de rôle »

Dans le privé, si les grévistes existent, leur nombre est difficile à connaître. A quelques exceptions près, il est en tout cas beaucoup plus réduit que dans le public. Au point même que, selon Le Figaro, la Ville de Paris aurait demandé dans certains arrondissements à l’entreprise Derichebourg de ramasser les déchets accumulés depuis le début du mouvement des agents municipaux. De leur côté, le nombre de grévistes a baissé au fil des jours, passant de 60 % selon la CGT à 35 % la semaine dernière. Une baisse imputable, selon les éboueurs interrogés, à l’impact qu’à un tel mouvement sur leur portefeuille. « Ça me fait mal au coeur de voir tous ces déchets, mais la grève, c’est notre seul vrai moyen de pression, estime Ludovic Franceschet, éboueur à Paris et créateur d’un compte TikTok où il raconte son travail quotidien. Mais quand on est seul, comme dans mon cas, il est très compliqué de la faire en continu. » Mobilisé trois jours, l’agent municipal fait le compte. « On perd chaque jour entre 75 et 77 euros. J’en suis donc à 225, calcule-t-il. Et je ne vais pas piocher dans les caisses de grève, parce que certains sont arrêtés depuis plus longtemps que moi. »

Pour préserver le pécule accumulé par les syndicats pour les grévistes de longue durée, Ludovic fait le choix de faire grève 1 jour sur 2. Son chef, Hicham Alongane, technicien des services opérationnels, observe un phénomène similaire chez les membres de son équipe qui réunit 25 à 30 personnes. « Personne ne peut vraiment faire grève tous les jours, donc on se relaie à tour de rôle », raconte-t-il.

A Paris, cette organisation permet aux salariés de rendre leur mouvement visible. Mais ailleurs, le contexte économique pèse sur la mobilisation. « L’inflation contraint en partie la grève, estime Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à l’université d’Aix-Marseille, spécialisé dans la sociologie du syndicalisme et de l’action collective. Depuis le début du mouvement, les syndicats ont d’ailleurs bien pris garde aux jours où ils programmaient les manifestations. » Celles des 11 février et 11 mars ont d’ailleurs eu lieu un samedi, et non en semaine : pour éviter à la plupart des actifs des grèves en semaine, et les dissuader de renoncer au mouvement pour éviter des retenues sur salaire.

Eviter les blocages

Cette stratégie a permis à l’intersyndicale de rassembler autour d’elle les confédérations enregistrant une hausse des adhésions : CDFT et CGT, par exemple, ont revendiqué une hausse de 50 % par rapport à l’an dernier, à la même période. « Malgré cela, les organisations les plus combatives ont du mal à faire tache d’huile dans leurs mobilisations les plus dures, observe Stéphane Sirot, historien, spécialiste de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales. La CGT, par exemple, est devenue une confédération peuplée de salariés essentiellement issus du service public ou d’entreprises anciennement nationalisées, et son action a donc du mal à déborder sur le privé. Elle reste dans le périmètre habituel des conflits classiques, ce qui n’est pas suffisant pour susciter des blocages. »

Les secteurs ayant pour habitude de participer à des mouvements plus durs que la simple manifestation, à l’exemple des routiers ou de la RATP, sont moins engagés que ce à quoi on pourrait s’attendre. « Nous avons eu peu de remontées de blocage, confirme Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers. Même si les chauffeurs le souhaitaient, il est très difficile pour eux d’utiliser des camions pour bloquer les routes : ils appartiennent aux entreprises, et sont donc difficilement utilisables sans le consentement de l’employeur. »

Reste à savoir s’ils le souhaitent vraiment, alors qu’un sujet préoccupe particulièrement les routiers : le « congé de fin d’activité » (CFA), un dispositif qui leur permet, sous conditions d’ancienneté, de cesser leur activité avant l’âge de la retraite. Mais en amont de la réforme, l’Etat a promis d’apporter pendant sept ans 150 millions à ce « régime spécial » des conducteurs, dont les modalités pratiques doivent toujours être négociées. « Le ministère a clairement déminé la question avant. Les routiers se disent que malgré la réforme actuelle, ils auront toujours le CFA, et sont moins enclins à se mobiliser durement », analyse Patrice Clos, secrétaire général de FO transports.

Selon le syndicaliste, un phénomène similaire toucherait les agents de la RATP. En cause : l’adoption par l’Assemblée à la mi-février, en parallèle de la suppression des régimes spéciaux, de la « clause du grand-père », une disposition qui permet aux agents entrés à la RATP ou de la SNCF avant l’adoption de la réforme de continuer de bénéficier de leurs acquis. « Tous les cadres sont contre le texte, mais en vérité, on ne les sent pas beaucoup plus motivés que ça, regrette Patrice Clos. La clause du grand-père a fait beaucoup de mal. » Le mouvement ne semble plus vraiment prendre à la RATP, où, pour la journée de mobilisation du 15 mars, un trafic quasiment normal est annoncé – à l’exception notable du RER.

Refus de l’intersyndicale

Un fort sentiment de lassitude des salariés n’est pas non plus à exclure. Si le rejet de la réforme est bien ancré dans l’opinion, seuls 34 % des Français interrogés pensaient début mars, dans un sondage Ifop pour Le JDD, que la réforme serait retirée. « Il nous appartient de combattre le sentiment de fatalité et de persuader les salariés qu’on va y arriver grâce à la lutte. Mais une grève reconductible est forcément plus difficile à organiser qu’une manifestation. Il faut discuter et convaincre les salariés tous les jours, et pas seulement de manière ponctuelle », observe Eric Sellini, coordinateur CGT pour le groupe Total.

La tâche est d’autant plus ardue que l’intersyndicale est divisée sur le sujet : réagissant à la grève des éboueurs sur le plateau de BFMTV ce 12 mars, le patron de la CFDT Laurent Berger a expliqué « ne pas appeler à ce type d’action ». « La CFDT sera préoccupée à ce qu’on garde l’opinion, a-t-il déclaré. […] Les équipes CFDT qui ont décidé d’aller (vers les grèves reconductibles), c’est leur responsabilité, ce ne sont pas les types d’action que la CFDT lance. » Cette réticence de l’intersyndicale à s’engager dans un mouvement plus dur n’est pas sans rappeler celle qui avait animé la CFDT et la CGT en 2010, en plein mouvement sur la réforme des retraites menée par le gouvernement Fillon. « Il y avait eu des journées d’actions successives pendant deux-trois mois, suivies d’une journée de mobilisation où certains avaient décidé de passer à une grève reconductible – le 12 octobre en 2010, le 7 mars aujourd’hui. Cette dernière s’était effilochée au fil des jours, et la réforme était passée », rappelle Stéphane Sirot.

Dans un éditorial dans Les Echos écrit au moment de la réforme des retraites menée par le gouvernement Fillon en 2010, Jean-Francis Pécresse, se demandait « pourquoi les syndicats ont peur de la grève reconductible ». La première raison, écrivait le journaliste : « Le risque d’échec de ce genre de stratégie » alors que « pour qu’une grève reconductible soit efficace, elle doit être durable ». A l’époque, il était aussi question de la peur des centrales syndicales de « perdre le contrôle d’un mouvement social dont elles n’attendent plus vraiment qu’il débouche sur des concessions de la part du pouvoir, mais qu’il leur fasse gagner en audience, en popularité, en légitimité ». Bis repetita ?

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