Bataille sur les retraites, succession de Martinez, leadership face à la CFDT… Comment la CGT profite du mouvement social pour se relancer

« Je ne suis pas un stratège », glisse Philippe Martinez, avec son habituel œil mi-rieur mi-inquisiteur. En tête du cortège intersyndical, mardi 18 octobre à Paris, le secrétaire général de la CGT fait mine de balayer les ambitions qu’on lui prête, au cœur d’un automne social chargé. Le leader syndical, qui s’était fait plutôt discret depuis le début du mouvement social dans les raffineries, imaginait-il une semaine plus tôt prendre la tête d’une manifestation nationale et interprofessionnelle pour demander l’augmentation du salaire minimum à 2 000 euros net et le maintien du droit de grève ?

Après un retour à la hâte d’un voyage en Palestine, il a lancé jeudi 13 octobre une mobilisation express, au lendemain des premières réquisitions d’employés décidées par le gouvernement. « Il ne pouvait pas faire autrement, tout le monde lui serait tombé dessus », explique à franceinfo un membre du syndicat.

Pour la centrale de Montreuil, la période est aussi inflammable que les raffineries de TotalEnergies, où elle a refusé de signer l’accord salarial validé par la CFDT et la CFE-CGC. Et si tous les manifestants rencontrés mardi à Paris assurent que le climat de « colère » est le moteur de ce mouvement social, les enjeux de cette mobilisation pour la CGT dépassent la période et les revendications actuelles.

En premier lieu, derrière les questions de pouvoir d’achat, figure celle des retraites. Le projet de réforme du gouvernement sera « vraisemblablement le premier texte présenté en Conseil des ministres » en 2023, d’après Franck Riester, ministre des Relations avec le Parlement.

Pour la CGT, devancée ces dernières années par des mouvements sociaux indépendants des syndicats, comme les « gilets jaunes », « ça peut être l’occasion de se relancer », analyse Stéphane Sirot, historien et spécialiste du syndicalisme. « Tout le monde y pense dans l’optique du rapport de forces sur cette bataille. » En plus de FO ou de SUD-Solidaires, la CGT manifesterait cette fois-ci aux côtés de la CFDT, qui a plusieurs fois annoncé qu’elle se mobiliserait si l’exécutif menait à bien son plan de reculer l’âge légal de départ à 65 ans.

« Le gouvernement a aussi cette future mobilisation en tête, reprend Stéphane Sirot. Si le conflit actuel tourne à son avantage, il peut se sentir en confiance pour mener cette réforme face aux syndicats. A l’inverse, si les gains obtenus par les raffineurs correspondent aux revendications de la CGT, cela peut donner un atout à cette dernière dans le mouvement social à venir. » Beaucoup, parmi les 70 000 manifestants revendiqués par le syndicat dans le cortège parisien, avaient cette échéance en tête.

« Il faut montrer à Emmanuel Macron qu’on ne se laissera pas faire sur les retraites. »

Serge Allègre, secrétaire fédéral de la CGT en Auvergne-Rhône-Alpes

à franceinfo

A la CGT, tous les yeux sont également rivés sur les élections professionnelles à venir cet automne. « Ces mobilisations permettent de donner une dynamique pour les organisations en vue des élections », reconnaît Céline Verzeletti, secrétaire confédérale du syndicat. Ces élections auront d’abord lieu à la SNCF, du 17 au 24 novembre, où la très offensive CGT-Cheminots souhaite rester le syndicat majoritaire. « Forcément, si le mouvement actuel est un succès pour les grévistes, cela pourrait avoir valeur d’exemplarité et donner des idées à d’autres secteurs. Au final, cela peut entraîner un regain de popularité de la CGT », avance Stéphane Sirot.

Après les salariés de la SNCF, ce sera au tour des fonctionnaires de se rendre aux urnes, le 8 décembre. Lors du dernier scrutin, en 2018, la CGT était arrivée en tête avec 21,8% des suffrages dans la fonction publique, contre 19% pour la CFDT. Mais cette réduction de l’écart de voix entre les deux syndicats chez les fonctionnaires a permis à la centrale réformiste de devenir le premier syndicat français, tous secteurs confondus. « Certes, la CFDT avait perdu des voix, mais la CGT en avait rassemblées encore moins », précise Stéphane Sirot. Cette année, le syndicat dirigé par Laurent Berger a bien l’ambition de l’emporter aussi dans la fonction publique.

Au sein de la CGT, les opposants à Philippe Martinez pointent régulièrement le fait que c’est sous sa direction que la centrale est passée derrière la CFDT. Près de huit ans après avoir succédé à l’éphémère secrétaire général Thierry Lepaon, l’ancien ouvrier métallurgiste de Renault, âgé de 61 ans, s’apprête à quitter ses fonctions, fin mars 2023, à l’occasion du 53e congrès du syndicat (du 27 au 31 mars). Et la bataille de succession a déjà démarré en coulisses. Philippe Martinez soutient Marie Buisson, issue de la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture (Ferc-CGT).

« Marie Buisson est archi-favorite, mais des surprises peuvent toujours arriver. »

Un élu CGT d’Ile-de-France

à franceinfo

Le choix de Marie Buisson ne fait pas l’unanimité parmi les 32 fédérations qui composent la CGT. La puissante Fédération nationale des industries chimiques (Fnic), dont font partie les grévistes CGT de TotalEnergies, n’est pas favorable à la désignation de cette professeure en lycée professionnel, qui n’est pas issue du mouvement ouvrier. Aux yeux des membres de la Fnic, comme de la CGT-Cheminots, seule une opposition frontale et sans concession au patronat et au gouvernement peut permettre des avancées sociales.

« Il y a deux visions du syndicalisme dans la même centrale, avec des projets relativement différents, résume l’historien Sylvain BoulouqueIl y a un groupe très contestataire, chez les cheminots ou dans l’union départementale des Bouches-du-Rhône, proche de la Fédération syndicale mondiale (FSM), où l’on retrouve les fédérations syndicales nord-coréennes, chinoises ou cubaines. C’est l’héritage du vieux communisme. La CGT, au niveau national, est quant à elle adhérente de la Confédération syndicale internationale (CSI), qui s’inscrit beaucoup plus dans une culture de la négociation sociale et de la défense des libertés démocratiques. »

La frange radicale proche de la FSM va-t-elle bénéficier du mouvement social actuel ? « En cas de succès dans la pétrochimie, les plus critiques à l’égard de la direction pourraient utiliser ce conflit pour dire qu’un syndicalisme de lutte des classes est le seul moyen d’obtenir des concessions », juge l’historien Stéphane Sirot. Et si « les différents champs professionnels travaillent ensemble pour se mobiliser » à la CGT, selon Philippe Martinez, ce sont bien des courants divisés sur la radicalité nécessaire qui vont s’affronter en interne jusqu’au printemps.

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