Yvan Ricordeau (CFDT) : « Une réforme positive des retraites, c’est avant tout une réforme du travail

Les organisations syndicales, unies dans la lutte contre la report de l’âge à 64 ans, parviendront-elles une nouvelle fois à mobiliser plus d’un million de personnes dans les rues ce mardi 31 janvier ? Nous avons voulu savoir quels seraient à leurs yeux les ingrédients d’une bonne réforme et quelles traces peut laisser dans le paysage syndical émietté cette nouvelle unité des centrales.

Alternatives Economiques a posé sensiblement les mêmes questions aux leaders de la CGT, de FO, de la CFE-CGC et de l’Unsa. Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT en charge du dossier des retraites nous répond.

L’appel de l’intersyndicale le 19 janvier a été une réussite dans la rue. Vous appelez nouveau à manifester et à débrayer. Ce week-end Elisabeth Borne a encore affirmé que les 64 ans sont non négociables. Qu’est-ce qui pourrait amener le gouvernement à changer d’attitude ? 

Yvan Ricordeau : La Première ministre a confirmé ce que nous avions vécu pendant trois mois de concertations : le gouvernement est enfermé dans sa volonté d’user du paramètre de l’âge et point final. Il n’a jamais voulu ouvrir la porte aux autres solutions mises en avant par la CFDT et les autres organisations syndicales.

Après la mobilisation réussie du 19 janvier, celle du 31 se présente au moins de même ampleur et probablement davantage. Il va donc falloir que les pouvoirs publics entendent la protestation contre l’injuste décalage à 64 ans de l’âge donnant droit au départ à la retraite. Si les lignes ne bougent toujours pas, nous appellerons à de nouvelles mobilisations. Mais ni la CFDT, ni l’intersyndicale, ne changeront de position dans la période qui vient.

En 2010, une forte mobilisation contre la retraite à 62 ans n’avait pas empêché le gouvernement de Nicolas Sarkozy d’arriver à ses fins.

Y. R. : Trois éléments sont complètement différents aujourd’hui. Primo, en 2010, les perspectives financières du système de retraite étaient vraiment très inquiétantes. Aujourd’hui, malgré les tentatives de dramatiser la situation, chacun voit qu’il n’y a pas d’urgence en matière de financement.

Deuxio, en 2010, le pouvoir en place était majoritaire pour aller au bout de la réforme qu’il avait mise en chantier, alors qu’aujourd’hui le pouvoir ne dispose que d’une majorité relative, et personne ne sait si un équilibre sera trouvé sur cette réforme à l’Assemblée nationale.

« Nous ne sommes pas en 2010. Si l’on confirme et renforce l’opposition au travers des manifestations et de la pétition, le gouvernement sera obligé de bouger »

Tertio, la CFDT est devenue depuis la première organisation syndicale en France. Tout le monde sait que nous sommes capables de nous engager sur une réforme des retraites si elle est prise dans le bon sens. Ces trois différences fondamentales prouvent que nous ne sommes pas en 2010 et que, si l’on confirme et renforce l’opposition au travers des manifestations et de la pétition, le gouvernement sera obligé de bouger.

Une grande majorité de Français se déclarent hostiles au projet de réforme de l’exécutif mais ils sont aussi nombreux à souhaiter que le système évolue en mieux. Quels sont à vos yeux les piliers essentiels sur lesquels faire reposer une « bonne » réforme des retraites ?

Y. R. : Le premier élément, c’est considérer qu’une réforme des retraites est avant tout une réforme du travail. Il faut apporter les enjeux sur les carrières professionnelles des salariés et l’emploi des seniors. C’est la clé de voute d’une réforme positive et l’inverse de ce qui est proposé actuellement.

Deuxième élément : l’avenir du système des retraites repose sur une convergence des règles et une remise à plat pour construire au moins la base d’un système universel. C’est l’enjeu fondamental d’avenir.

Et troisième élément : si on met en place les deux premiers points, comment assure-t-on la pérennité financière du système ? Il est possible d’équilibrer les régimes de retraites, puisque le déficit actuel est l’un des plus faibles qu’on ait connu depuis vingt ans dans notre pays. Les solutions possibles passent d’abord par la question de l’emploi et du travail, notamment en agissant sur le taux d’emploi des seniors qui est nettement inférieur à la moyenne européenne.

On parle peu des complémentaires dans le débat. Les syndicats gèrent paritairement l’Agirc-Arrco. Ce régime a accumulé des réserves et si la réforme du gouvernement venait à être adoptée, elle ferait entrer encore plus d’argent dans les caisses. Cet argent ne devrait-il pas à servir à résorber les inégalités du système actuel ?

Y. R. : Les partenaires sociaux se sont entendus pour gérer les régimes complémentaires des salariés cadres et non cadres en ayant une réserve équivalente à six mois de pensions pour faire face aux aléas. Du coup, la crise Covid a pu être traversée sans aucune baisse des pensions des retraités.

Je rappelle que la retraite complémentaire, c’est 40 % de la pension pour un ouvrier et 60 % pour un cadre. Nous avons fait la démonstration que les partenaires sociaux sont capables de gérer de manière très responsable les retraites. Si les réserves sont plus importantes, la question se posera de savoir comment on organise la gestion au vu des financements dont on dispose.

« Pour démontrer l’injustice du projet de réforme de retraites, il nous fallait l’unité syndicale complète. Nous l’avons. »

Une négociation est prévue d’ici cet été. Le but de la CFDT n’est pas de renforcer les réserves au-delà mais de voir comment on peut augmenter le service des pensions des salariés et particulièrement les petites retraites, avec une meilleure prise en compte des carrières hachées. Mais aujourd’hui, la question c’est la réforme de base.

Cela fait 12 ans qu’on n’avait pas vu une telle unité syndicale. Ce conflit relégitimise les syndicats, vis-à-vis des salariés et vis-à-vis de l’opinion. Après le conflit des retraites le paysage syndical sera-t-il le même qu’avant ?

Y. R. : C’est trop tôt pour le dire. On fera le bilan au vu de ce qu’aura donné la mobilisation sur les retraites. Mais si on obtient le retrait des 64 ans, il est évident que cela fera date dans l’histoire du mouvement syndical. Mais on ne le saura qu’au mois d’avril ! Pour démontrer l’injustice du projet de réforme de retraites, il nous fallait l’unité syndicale complète. Nous l’avons. Elle est forte et repose sur un mot d’ordre précis : le rejet du report de l’âge.

Vous aviez l’habitude d’être l’interlocuteur habituel, presque « naturel » des pouvoirs publics. Cette fois-ci, ce n’est pas le cas. Comment être un syndicat réformiste quand on n’a pas d’interlocuteurs en face, pire quand le président de la République théorise cette attitude ?

Y. R. : Dans son mandat précédent, le président Macron avait proposé une réforme avec beaucoup d’ambitions et une vision d’avenir. La CFDT avait décidé de s’inscrire dans ce débat. Ce même gouvernement fait aujourd’hui un choix à 180 degrés. Ce tête-à-queue rend difficile la discussion avec lui. Nous fixons nos objectifs en fonction de nos orientations.

On n’a pas changé d’objectifs, et nous sommes toujours autant réformistes. Dans sa palette de leviers syndicaux, la CFDT a la négociation mais aussi la contestation, l’engagement. C’est avec l’ensemble de ces leviers que nous jouons. Aujourd’hui, nous n’avons pas de voie de passage parce que la réforme a été construite à contresens, donc nous contestons avec les autres organisations syndicales.

C’est d’ailleurs la démonstration que, si l’on veut faire des réformes dans ce pays qui soient comprises de la population, il faut trouver des voies de compromis avec les partenaires sociaux. En faisant le choix de passer en force, le gouvernement se met à dos 80 % des salariés, dont la CFDT. L’objectif de la manifestation du 31 janvier, c’est donc de rebattre les cartes de cette réforme, remettre le dossier dans le bon sens pour faire en sorte que les organisations comme la CFDT soient en capacité de rediscuter.

Retrouvez notre dossier spécial « Retraites : les leaders syndicaux en direct du front »

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