Retraites : pour les syndicats, l’unité fait la force

Il a beau faire frais dans les rues de France, les défilés contre la réforme des retraites décidée par Emmanuel Macron font le plein. Entre 1,2 million de personnes, selon la police, et 2 millions, selon la CGT, avaient battu le pavé le 19 janvier. Le chiffre devrait nettement augmenter ce mardi 31. Pour le plus grand bonheur des dirigeants syndicaux qui ne cachent pas leur plaisir de défiler bras-dessus, bras-dessous, suivis par d’imposants cortèges.

Ce succès est d’abord un pied de nez à tous ceux, dans les palais de la République ou dans les médias, qui avaient cru à leur effacement de la scène politique et sociale. Ils étaient divisés, conservateurs, voire rétrogrades. N’étaient-ils pas les premiers visés lorsqu’Emmanuel Macron avait moqué « le peuple de gaulois réfractaires » ?

En 2019, l’une des premières dispositions du premier mandat du président de la République n’avait-elle pas été de promulguer les ordonnances travail qui réduisaient leurs pouvoirs dans l’entreprise (disparition des CHSCT et de comités d’entreprise au profit des seuls CSE), tout en déniant aux syndicalistes toute légitimité à interférer dans la construction des politiques publiques ? On l’a assez peu dit, mais le « jupitérisme » a d’abord un mauvais goût anti-syndical.

Printemps syndical

En ce début d’année, les manifestations et les nombreuses grèves dans le secteur privé contre la réforme des retraites inversent d’un coup la perspective : loin d’incarner l’intérêt général, le gouvernement apparaît aux yeux de l’opinion publique comme sectaire, enfermé dans sa tour d’ivoire, de mauvaise foi quant aux prétextes de sa réforme, à commencer par un déficit très relatif.

Les syndicats, qu’on disait volontiers démonétisés par le mouvement des gilets jaunes ou celui des contrôleurs de la SNCF, paraissent au contraire en phase avec l’opinion, non seulement des salariés mais de la population en général. Une position qu’Emmanuel Macron réclame pour lui seul. On est proche du crime de lèse-majesté !

Les défilés sont donc d’abord un désaveu de la stratégie de contournement voire d’écrasement du syndicalisme.

Quelle issue connaîtra le mouvement ? Celle de 1995, lorsque Alain Juppé droit dans ses bottes avait dû retirer l’alignement des régimes spéciaux sur le privé ? Ou celle de 2010, quand Nicolas Sarkozy avait résisté à des mois de manifestations ?

Il y a une raison ponctuelle à cette situation : l’erreur politique manifeste de vouloir imposer à la fois un allongement plus rapide de la durée de cotisation à 43 ans et un report de l’âge légal à 64 ans. De quoi se faire dresser tous les salariés, les femmes et les hommes, de l’ouvrier au cadre, des plus jeunes aux plus âgés… Et au-delà !

Car les derniers sondages indiquent que même les retraités sont désormais majoritairement opposés ! Près de 72 % des Français, dont 56 % des retraités se déclarent « contre ». Une déroute pour le gouvernement. De l’espoir pour les syndicats encore amers après la dernière réforme des allocations chômage.

Plus au fond, le retour de l’inflation redonne au syndicalisme sa fonction première : celle de « négocier les tarifs », d’organiser l’action collective en vue d’obtenir des augmentations de salaires. Le temps de l’individualisme est un peu moins à la mode ces temps-ci où l’on prend conscience de la force du collectif, et de la possibilité de gagner.

Cela fait une différence avec l’époque où les ouvriers partaient battus d’avance dans la défense éperdue de leurs emplois. Depuis quelques semaines, comme en témoigne Philippe Martinez, des salariés dépourvus de présence syndicale frappent à la porte des permanences et demandent : « mais comment fait-on la grève » ? L’unité affichée par les confédérations donne de la crédibilité au combat commun.

Il y a donc bien un petit printemps syndical en plein hiver. Il est ténu, ne serait-ce que par l’hypothèque qui pèse sur le mouvement. Quelle issue connaîtra-il ? Celle de 1995, lorsque Alain Juppé droit dans ses bottes avait dû retirer l’alignement des régimes spéciaux sur le privé ? Ou celle de 2010, quand Nicolas Sarkozy avait résisté à des mois de manifestations aussi consistantes qu’aujourd’hui ? Des deux côtés de la table, on joue la crédibilité des prochaines années. C’est pourquoi Emmanuel Macron cherche à prendre le mouvement de vitesse au Parlement.

Continuer le combat ?

Bien des questions se posent à des confédérations qui apportent des solutions au problème des retraites et privilégient des modes opératoires du conflit souvent bien différents. Faut-il compter sur la désagrégation possible de l’axe Renaissance-Les Républicains à l’Assemblée ou rechercher l’épreuve de force ? « La question va vite se poser de hausser le niveau de la confrontation, avec des demandes de grève reconductibles », prédit l’historien des conflits sociaux Stéphane Sirot.

Dans un deuxième temps, faudra-t-il, au nom de la légalité républicaine, accepter la loi dès lors que le Parlement l’aura votée ? C’est ce que la CFDT affirme, par la bouche de son secrétaire général Laurent Berger dans un entretien au journal Le Monde.

Ou, au contraire, à l’exemple de la lutte victorieuse contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, continuer le combat, comme l’envisage Philippe Martinez dans nos colonnes ? A chaque instant, le choix des états-majors sera lourd de conséquences. Mais n’est-ce pas la rançon du retour en pleine lumière du fait syndical…

Chacun sait ce qu’il en coûte de se désolidariser d’un mouvement aussi important. En 2003, la CFDT de François Chérèque avait connu une hémorragie d’adhérents après l’accord passé à Matignon avec Jean-Pierre Raffarin

L’enjeu de ce conflit est majeur : « ce qui se passe en ce moment aura des conséquences pendant des années, que ce soit syndicalement ou politiquement », prophétise le politiste Jean-Marie Pernot.

A ce stade, chacun affirme que l’unité est solide, plus solide qu’en 2010 affirme Frédéric Souillot, dirigeant de Force ouvrière. Et chacun sait ce qu’il en coûte de se désolidariser d’un mouvement aussi important. En 2003, la CFDT de François Chérèque avait connu une hémorragie d’adhérents après l’accord passé à Matignon avec Jean-Pierre Raffarin.

Au point que trois ans plus tard, lors du conflit du CPE, la centrale de Belleville avait suivi jusqu’au bout les manifestations de lycéens, même si la loi avait été votée et promulguée. Sortir du conflit c’est la mort pour la CFDT, expliquait-on alors chez les cédétistes. Le maintien de la CFDT avait d’ailleurs persuadé Jacques Chirac d’abandonner le CPE.

Aujourd’hui, l’unité est toujours une nécessité. Pour la CGT qui a conscience, malgré certaines fédérations comme la chimie, qu’elle ne peut bâtir le rapport de force avec le gouvernement avec les seuls alliés habituels : FSU, Solidaires, et éventuellement Force ouvrière, avec qui elle souhaite construire un « rassemblement syndical ». La CFDT, de son côté, est en panne de stratégie depuis le refus – théorisé – d’Emmanuel Macron de discuter les politiques publiques avec les syndicats, comme le rappelle Yvan Ricordeau, secrétaire national de la CFDT.

Pour l’heure, le réformisme n’a donc pas de débouché… Chacune des confédérations s’appuie sur les forces et faiblesses des autres. Pour un peu, on parodierait la fable de L’aveugle et le paralytique : « Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. » écrivait Jean-Pierre Claris de Florian. Hélas, l’auteur n’a pas révélé si les compères étaient arrivés en Chine, ou s’ils se noyèrent tous deux dans la rivière. Rendez-vous en avril pour le savoir…

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