Réforme des retraites : veillée d’armes avec les syndicats

Opposés à l’âge de départ à 64 ans et à la fin des régimes spéciaux, ils sont déterminés à faire plier le gouvernement. Quitte à paralyser la France.

Gare de Lyon, à Paris, ils sont une dizaine, au bout du quai N, à déployer leur banderole, « Retraite : pas un trimestre de plus, pas un euro de moins ! ». Un slogan écrit sur 15 mètres de long, en vert et blanc, aux couleurs du syndicat Sud-Rail (« Solidaire, unitaire et démocratique, Rail »). Une bourrasque malmène l’étendard. « C’est le vent de la révolte », plaisante un des militants. Le petit groupe s’applique à accrocher la bannière au balcon du restaurant d’entreprise. « D’ici, elle sera visible de tous les trains qui entrent en gare », précise Fabien Villedieu, délégué syndical Sud-Rail.

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Entré à la SNCF en 2000, encarté dès 2001, le conducteur de 45 ans a déjà plus de vingt ans de lutte à son actif. Regard déterminé sous la casquette en tweed vissée sur sa tête, il prépare ses troupes à la bataille contre la réforme des retraites. Depuis l’annonce de la journée d’action du 19 janvier, il se rend sur les quais à l’arrivée des rames et « toque à la vitre » du poste de pilotage pour motiver les collègues à faire grève. « On a peu de temps pour les mobiliser, explique Fabien. À peine une semaine après l’annonce. À la SNCF, on doit faire une déclaration individuelle d’intention au moins quarante-huit heures à l’avance. Il faut que les contrôleurs, conducteurs et aiguilleurs la remplissent dans les délais pour être considérés comme grévistes. » 

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Un sondage de l’Institut Montaigne montre que 93 % des actifs sont contre l’âge de la retraite à 64 ans

Seul le port de son col roulé noir rapproche ce syndicaliste des positions du gouvernement. Il rappelle que la réforme prévoit de fermer les régimes spéciaux. Cela veut dire que les embauchés à partir de septembre 2023, à la RATP mais aussi dans les industries gazières et électriques ou à la Banque de France, relèveront du régime général de retraite. C’est déjà le cas à la SNCF depuis janvier 2020 pour les nouveaux entrants, contractuels, qui représentent 20 % des salariés, contre les anciens, statutaires, soit 80 % des cheminots. En réalité, les régimes spéciaux se poursuivront, mais avec les seuls bénéficiaires actuels, et s’éteindront progressivement, sur plusieurs décennies. C’est ce qu’on appelle « la clause du grand-père ». « Avec cette clause, décrypte Fabien Villedieu, les collègues statutaires pensent qu’ils ne sont pas concernés. Mais avec cette nouvelle réforme, tout le monde prend deux ans de plus. Ceux qui pouvaient travailler jusqu’à 57 ans passent à 59. Ceux qui devaient aller jusqu’à 62 doivent travailler jusqu’à 64. »

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Grâce à l’union des organisations syndicales, « nous ne serons pas la seule locomotive, se réjouit le syndicaliste. Avec les autres secteurs, nous pouvons faire la grève massivement et mettre un maximum de monde dans la rue. Un sondage de l’Institut Montaigne montre que 93 % des actifs sont contre l’âge de la retraite à 64 ans », précise-t-il. Selon un autre sondage, celui de l’Ifop pour « Le Journal du dimanche », 68 % des Français s’opposent à ce que prépare le gouvernement.

Des semaines qu’ils se préparent et rodent leur slogan. Des militants de Sud-Rail à la gare de Lyon, à Paris, le 13 janvier.

Des semaines qu’ils se préparent et rodent leur slogan. Des militants de Sud-Rail à la gare de Lyon, à Paris, le 13 janvier. PARIS MATCH / © BAPTISTE GIROUDON

Dans le local du Snuipp-FSU (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC, affilié à la FSU), rue de Tourtille, dans le XXe arrondissement de Paris, Audrey, Françoise, Élisabeth, Caroline et Marie fourbissent leurs armes, elles aussi. Ce lundi 16 janvier, c’est atelier pancartes : découpe des cartons, écriture des slogans… « On recycle celles qu’on avait faites contre Blanquer à Ibiza », ironise l’une d’elles. Quelques anciens tracts traînent sur le bureau, dont certain dessinés par le caricaturiste Berth, un des piliers du journal satirique « Siné Mensuel ». « Pas d’allongement des cotisations », revendique l’un d’eux, qui montre un écolier disant « Je quitte la classe à 17 heures ». Son professeur lui répond : « Veinard ! Moi, à 75 ans. »

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Plus d’un tiers des établissements seront fermés le 19 janvier

Au Snuipp, on se prépare à l’action depuis la rentrée scolaire. « On fait infuser les idées depuis septembre dernier dans nos publications internes », reconnaît Audrey Bourlet de La Vallée, secrétaire départementale. Leur lettre d’information compte 4 000 inscrits, soit près de la moitié des enseignants parisiens du premier degré. « On a écrit également à toutes les écoles, c’est-à-dire plus de 600 établissements », ajoute l’enseignante. D’après le comptage de lundi soir, plus d’un tiers des établissements seront fermés le 19 janvier. De quoi rendre grognons les parents d’élèves qui devront garder leurs enfants à la maison. « Ils comprennent le mouvement, assure Françoise. Certains disent même à leurs bambins : “Vous avez de la chance, vous avez une maîtresse engagée !” » « On espère gagner dès le 19 au soir, reconnaît Audrey. Mais, s’il le faut, nous sommes prêts à nous inscrire dans la durée. »

Pour haranguer les foules, la CFDT mise sur une mobilisation en ligne.

Comment entretenir un mouvement long en période d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat ? « Certains, analyse la secrétaire, pensent qu’il vaut mieux se serrer la ceinture maintenant en faisant grève, plutôt que plus tard, si l’on veut continuer à prendre la retraite à 62 ans. Ceux qui se serrent déjà la ceinture pourront s’exprimer en participant aux marches, comme celle du 21 janvier, ou aux manifestations en dehors du temps de travail. Enfin, nous avions fait une caisse en 2019, lors du dernier long conflit. Tous les grévistes n’y avaient pas fait appel. La cagnotte sera mobilisable pour ceux qui en auraient besoin. Ça en rassure certains ! »

« #64anscestnon ! » : un cri de ralliement version 2.0. Pour haranguer les foules, la CFDT mise sur une mobilisation en ligne. « Avant de faire la tournée des établissements ou des services dans les rectorats, une partie de l’action utilise les réseaux sociaux », explique Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT (Syndicat général de l’Éducation nationale, Confédération française démocratique du travail). « Cela nous permet également de toucher des collègues qui ne seraient pas syndiqués », précise-t-elle. Il y a tout d’abord l’incitation à signer la pétition sur Internet, pétition sous l’égide de l’intersyndicale rassemblant huit organisations (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU, Solidaires). Le compteur tourne au rythme des clics. Il comptabilisait près de 420 000 signatures le lundi 16 janvier. Ensuite, précise l’enseignant, « deux visioconférences se sont tenues quelques jours après l’annonce d’Élisabeth Borne, rassemblant plus de 250 militants. L’objectif était de donner les arguments, expliquer la réforme et exposer les positions de la CFDT sur les retraites. »

Des grévistes qui font le plein et des classes vides en perspective. Ici dans un local du syndicat d’enseignants Snuipp-FSU, le 16 janvier à Paris.

Des grévistes qui font le plein et des classes vides en perspective. Ici dans un local du syndicat d’enseignants Snuipp-FSU, le 16 janvier à Paris. Paris Match / © Frédéric Lafargue

Le nouveau dispositif prévoit notamment une accélération de ce qui était envisagé avec la réforme Touraine. Celle-ci aurait fait passer de 40 à 43 ans de cotisation, d’ici à 2035, pour obtenir une pension à taux plein. Le projet actuel appliquera la règle des 43 annuités dès 2027. « Ceux qui avaient prévu de partir à taux plein en novembre, explique Catherine Nave-Bekhti, devront repousser leur départ. Pour eux, c’est un électrochoc ! C’est injuste et brutal. Ça pose plein de questions sur comment remotiver ces personnes qui avaient planifié d’arrêter leur activité. » Pour la manifestation du 19 janvier, « Mets tes baskets pour la retraite », propose la CFDT sur son site. Et, parmi les outils à disposition des manifestants, quelques pancartes maquettées et imprimables, dont les textes sont autant d’interpellations : « Bientôt à la retraite ? Perdu ! » ou « Retraite, c’est mieux quand on est vivant.e ».

Notre slogan ? Celui qui est sous notre bannière syndicale, clame Pascal Servain : “Contre la dictature du fric”

Le ciel a encore la teinte bleutée de la nuit qui s’enfuit, mais Christophe Aubert, secrétaire général CGT pétrole, Pascal Servain, délégué syndical, et Germinal Lancelin, secrétaire général de la branche chimie, sont déjà à pied d’œuvre devant la raffinerie de Port-Jérôme, à Notre-Dame-de-Gravenchon, près du Havre. La CGT pétrole a annoncé que les dernières grèves d’automne 2022 ne sembleraient qu’un « amuse-gueule » par rapport aux actions qui se profilaient face à la réforme des retraites. La Fnic-CGT (Fédération nationale des industries chimiques CGT) a invité les salariés à se mobiliser les 19 et 26 janvier, ainsi que le 6 février, avec, « si nécessaire, l’arrêt des installations de raffinage », selon le communiqué diffusé.

L’appel entraînera des « baisses de débit » et des arrêts dans l’expédition des carburants. Le mouvement doit débuter par un premier arrêt du travail de vingt-quatre heures le 19 janvier, jour de la mobilisation nationale interprofessionnelle. C’est pourquoi, quelques jours auparavant, aux aurores, Christophe Aubert se rend à Paris pour consulter les instances fédérales. Pascal Servain et Germinal Lancelin feront le tour des popotes (le site rassemble plus de 2 000 salariés) pour distribuer des tracts et donner les consignes pour la journée d’action. « On va fermer les vannes pour avoir un débit minimum, confie Pascal Servain. Cela ne suffira pas encore à produire une raréfaction de carburants dans les pompes à essence. C’est un avertissement ! » Le slogan des manifestations ? « Celui qui est sous notre bannière syndicale, clame Pascal Servain : “Contre la dictature du fric”. » 

La journée du 19 donnera le ton à la suite du mouvement

Si ce premier round ne suffit pas, la CGT Pétrole appelle à quarante-huit heures de grève le jeudi suivant, le 26 janvier, puis à soixante-douze heures le 6 février. Ensuite, si nécessaire, la grève sera reconductible avec l’arrêt des installations à la clé, aussi bien dans le raffinage que dans la distribution. Laissant craindre, cette fois-ci, une nouvelle pénurie de carburant… « Quand tu travailles en trois-huit et que tu fais notamment des rondes entre 22 heures et 6 heures du matin, à 20 ans, ça passe. Mais à 60 ans, c’est plus la même musique. » Et question musique, Pascal en connaît un rayon. Passionné de chants marins, il est chanteur-conteur à ses heures perdues.

« La CGT revendique la retraite à 60 ans, à taux plein, pour tous, après 37 ans et demi de cotisations. » Et comme les affiches de la Confédération générale du travail le proclament : « À 60 ans, c’est possible ! » Quoi qu’il en soit, la journée du 19 donnera le ton à la suite du mouvement. Les syndicats devront tenir le cap s’ils ne veulent pas, comme en décembre dernier à la SNCF, être débordés par des salariés qui voudraient faire valoir eux-mêmes leurs revendications. 

Enquête Clémentine Robo

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