Réforme des retraites : « Les syndicats ont réussi à fédérer les colères des Français

Depuis le début de la contestation, ce sont eux qui mènent la danse. Les syndicats ont réussi à se fédérer et à mobiliser massivement les Français contre la réforme des retraites. Une dynamique notamment saluée par un regain d’adhésions. Dominique Andolfatto*, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne et spécialiste des syndicats, fait le point pour 20 Minutes sur cette popularité en hausse et ses effets à long terme.

Plus de 10.000 adhésions de plus à la CGT et à la CFDT, 5.000 supplémentaires pour Force ouvrière… La réforme des retraites a boosté le nombre d’adhérents. Ce regain est-il temporaire ?

Ces chiffres ne sont pas négligeables, mais la CFDT et la CGT revendiquant environ 600.000 adhérents chacune, cela ne va pas changer la donne en matière de taux de syndicalisation en France. Il se situe entre 7 et 10 %, selon les sources, l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. Cette progression est une première marche dans la reconquête des salariés. Mais il faudrait plusieurs dizaines de milliers d’adhérents supplémentaires pour obtenir une vraie évolution des courbes.

Selon un sondage de l’Ifop réalisé pour le JDD le 18 février, les syndicats apparaissent comme la meilleure opposition à Emmanuel Macron « pour 43 % des Français ». Pourtant, ils n’ont pas obtenu pour l’instant le recul du gouvernement sur ce dossier. Comment expliquer cette contradiction ?

Le degré de confiance des Français vis-à-vis des syndicats n’a pas vraiment bougé ces dernières années, si l’on se réfère aux études du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences po), par exemple. Mais les organisations ont réussi à en faire descendre un grand nombre dans la rue. Notamment des quadragénaires ou des quinquagénaires non syndiqués qui ne manifestaient jamais et l’ont fait pour la première fois. Car les syndicats ont réussi à fédérer les colères des Français.

L’unité syndicale a-t-elle été un des éléments qui a permis aux centrales de redorer leur image auprès du grand public ?

Les Français ne comprennent pas ce qui distingue les syndicats et pourquoi ils se divisent. Cette fois-ci, les organisations ont réussi à construire une unité assez solide. Personne n’a essayé de s’accaparer le leadership syndical, et chacun a su taire ses divergences. Le fait que ce mouvement soit cohérent et unitaire a permis d’attirer beaucoup de monde dans la rue. Les syndicats ont d’autant mieux réussi à rassembler que les oppositions sont dans une impasse. Car il n’y a pas une opposition, mais des oppositions irréconciliables, d’extrême gauche et d’extrême droite.

Lors de cette séquence, les syndicats ont-ils su garder une distance à l’égard des partis politiques ?

En France, on craint toujours que les syndicats ne soient que la voix de partis politiques qui les guideraient. Cette vision est erronée. Cela fait bien longtemps qu’ils ont acté leur rupture avec les partis politiques et sont pleinement autonomes.

Depuis son premier quinquennat, Emmanuel Macron semble vouloir minorer l’importance des syndicats. L’épisode que vous vivons lui montre-t-il qu’il avait tort ?

Les syndicats ont été confrontés à un président qui a une vision un peu étriquée de ce qu’ils sont, et qui considère ces organisations archaïques. Ces dernières semaines, il y a eu beaucoup de tensions entre eux. Pour autant, il n’y a pas eu de rupture entre le gouvernement Macron et les syndicats, ces derniers ont été régulièrement reçus au ministère du Travail. Par ailleurs, si on compare ce gouvernement au précédent, on constate que François Hollande a certes souvent consulté les syndicats, mais cela n’a pas fonctionné non plus, ni empêché la mobilisation contre la loi El Khomri.

La CFDT, qui a souvent été considérée comme le syndicat le plus apte au compromis, a-t-elle changé de braquet ?

Depuis les années 1990, la CFDT n’a jamais eu d’attitude univoque sur les réformes des retraites : tantôt elle a été dans une opposition ferme, tantôt favorable (comme en 2019, où elle soutenait le principe d’une retraite à points). Cette fois-ci, elle s’est montrée hostile, car le curseur de la réforme ne pouvait pas être une mesure d’âge, selon elle. Il est peu probable que la solution pour sortir de ce conflit vienne d’une marche arrière de sa part.

La réunion avec les syndicats ce mercredi a tourné au fiasco. Est-ce le signe d’un blocage définitif du dialogue ?

Je ne serai pas aussi sévère. C’était une tentative de reprise du dialogue. Il était prévisible qu’elle tourne court, après plusieurs semaines d’affrontements dans la rue. Mais cela montre que politiques et syndicats peuvent encore se parler. D’autant plus qu’on ne connaît pas encore le dénouement de l’histoire de cette réforme. Se parler est important dans une société démocratique.

Comment imaginez-vous la suite des événements sur le dossier retraites ?

Il est toujours difficile de faire de la prospective dans le domaine social. En 2010, lors de la précédente réforme de retraites, il y avait eu 11 manifestations. Ce jeudi a eu lieu la 11e journée de mobilisation contre celle du gouvernement Macron. Est-ce que le mouvement finira par s’épuiser comme peut l’espérer le gouvernement ? Difficile à dire avant la décision du conseil constitutionnel, le 14 avril. Tout peut toujours rebondir.

Ce regain de dynamisme des syndicats va-t-il donner plus de poids aux délégués syndicaux pour obtenir des revalorisations salariales en entreprise ?

Ce mouvement social va redonner confiance aux délégués syndicaux et les remettre en position de force. D’autant que, en Allemagne ou en Angleterre, des mouvements de grève ont lieu autour de la question du pouvoir d’achat. Et que, en France, l’inflation a aussi nourri la colère contre la réforme des retraites.

La discrimination syndicale n’est-elle pas un frein aux taux de syndication ?

Ce n’est pas la cause cardinale du faible taux de syndication en France. La discrimination vis-à-vis des délégués syndicaux n’est pas systématique et a plutôt tendance à reculer. Car, même s’il existe des rapports de force entre les partenaires sociaux, les employeurs doivent coconstruire le droit du travail avec leurs délégués syndicaux, négocier avec eux des accords. Ils ont besoin d’eux. Un employeur qui discriminerait par principe se tirerait une balle dans le pied.

La récente élection de Sophie Binet à la tête de la CGT marque-t-elle un tournant en ce qui concerne la féminisation des centrales ?

C’est la première fois qu’une femme arrive à la tête de la CGT. Même s’il y a eu d’autres femmes qui ont dirigé des syndicats (Nicole Notat à la CFDT, Carole Couvert à la CGC), son arrivée ne peut que donner de nouvelles couleurs au mouvement et s’inscrit aussi dans une période marquée par un néoféminisme. Sophie Binet s’est beaucoup intéressée à la question de l’égalité hommes-femmes, elle a de l’aisance à l’oral et peut instaurer un nouveau style de management, moins axé sur les rapports de force. Elle appartient aussi à une nouvelle génération de syndicalistes. Tous ses atouts peuvent contribuer à réconcilier une partie de l’opinion publique avec les syndicats.

Comment les syndicats pourront-ils rebondir après la séquence des retraites ?

Il existe beaucoup d’autres sujets autour du travail : la pénibilité, l’égalité femmes-hommes, les rémunérations, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, le partage de la valeur… Quelle que soit l’issue du dossier retraites, les syndicats ne vont pas se croiser les bras. D’autant que tous les sujets que j’évoque pourront avoir un rétro-effet… sur les retraites.

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