Grèves à la SNCF, à l’hôpital… Les syndicats débordés par des collectifs informels

Le schéma commence à devenir familier. La grève qui a paralysé une partie du réseau des grandes lignes (TGV et Intercités) ce week-end de début décembre n’a pas été amorcée par les syndicats, mais par un collectif informel, né d’une boucle WhatsApp et d’une page Facebook. Allié aux instances syndicales, ce mouvement de contrôleurs mécontents est composé de quelques milliers de salariés réunis derrière un collectif non-élu, organisé entièrement sur les réseaux sociaux. Son ampleur a surpris : ces 3 et 4 décembre, la grève amorcée par le collectif a entraîné la suppression de 60 % des TGV. Quasiment inédit à la SNCF, ce mouvement de mécontentement spontané en rappelle d’autres dans des secteurs différents, comme celui du collectif InterUrgences qui a émergé à l’hôpital en 2019. A la faveur d’une défiance grandissante envers les mouvements syndicaux et la démocratie représentative, des collectifs affinitaires émergent sur les réseaux sociaux, évoquant les gilets jaunes.

A la SNCF, tout est né d’une boucle WhatsApp. « Cela faisait plusieurs mois qu’un autre contrôleur et moi parlions sans arrêt de nos problèmes et de nos attentes. Nous l’avons élargi à plusieurs autres personnes à Marseille, et dans d’autres régions », explique Olivier, l’un des membres à l’initiative du mouvement, qui travaille dans la métropole marseillaise. Très vite, les deux contrôleurs décident de créer une page Facebook pour rendre leur conversation plus accessible. Cette dernière, baptisée « collectif national ASCT (Agent du service commercial trains) », lancée le 27 septembre, rassemble aujourd’hui plus de 3 200 membres. Sur cette page, les administrateurs partagent des articles de presse et des vidéos relatives à la mobilisation ainsi qu’aux conditions de vie des travailleurs.

Collaboration avec les syndicats

Les organisateurs créent également une boucle Telegram – qui compte plus de 670 personnes – où chacun discute des revendications. Parmi elles, « le respect que l’on nous doit », glisse Olivier. « Nos missions sont de plus en plus larges et nos tâches de plus en plus diversifiées. Nous voulons de la reconnaissance », poursuit le contrôleur. Cela implique, pour eux, l’intégration de primes dans le salaire, mais aussi, pêle-mêle, des revendications sur l’amélioration du déroulement de leur carrière ou sur l’organisation du travail. « Comme avec les gilets jaunes, les demandes de ce collectif sont souvent nombreuses et peu structurées. Le mouvement n’était pas centralisé, certains réclament des choses qui existent déjà mais que les salariés ignorent, parce que les agents sont sous-informés », estime Didier Mathis, le secrétaire général de l’Unsa Ferroviaire.

Pour pousser ces demandes, les membres de ce collectif se sont rapprochés, en octobre, des syndicats représentatifs de la profession. « On leur a dit qu’on passerait avec ou sans eux », souffle Olivier. Le « CNA » a tout de même dû demander l’aide des organisations syndicales représentatives pour pouvoir déposer un préavis de grève et initier le dialogue avec la direction. Une demande de concertation immédiate a été déposée à la fin du mois d’octobre par Sud-Rail, l’UNSA et la CFDT. « Ce collectif marque une évolution : nous avions déjà vu des collectifs émerger sur quelques établissements, mais le dernier mouvement national informel venait des contrôleurs et date de 1986 », note Didier Mathis. Cette année-là, les cheminots du fret demandaient une nouvelle grille des salaires.

Des mouvements ayant toujours existé

Si ce collectif est une nouveauté dans le monde du rail, il ne l’est pas dans d’autres secteurs, à l’exemple de celui de l’hôpital. En 2019, le collectif Inter-Urgences, qui mobilise les paramédicaux, était lui aussi parti d’un mouvement local issu des hôpitaux Saint-Antoine et Lariboisière, à Paris, avant de devenir un mouvement national structuré. A l’époque, Inter-Urgences revendique plus de 200 établissements mobilisés. « Aujourd’hui nous échangeons toujours sur des groupes WhatsApp, voire par Signal, pour des actions très ponctuelles », raconte Pierre Schwob, infirmier et membre du collectif. Monté à l’écart des syndicats, ce mouvement d’agents paramédicaux a néanmoins dû obtenir l’accord des syndicats pour déposer des préavis de grève, comme dans le cas des contrôleurs à la SNCF. « Des petits mouvements similaires avaient déjà émergé dans des établissements parisiens très localisés dès 2015, note Pierre Schwob. Mais à l’époque, les syndicats n’avaient pas du tout encouragé cette forme de contestation ».

Quatre ans plus tard, la donne a changé : les gilets jaunes sont passés par-là, et, avec eux, la volonté d’outre-passer les corps intermédiaires – dont les syndicats. « Les mouvements locaux plus ou moins spontanés ont toujours existé, quels que soient, observe Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté, spécialiste du syndicalisme et des relations professionnelles. Mais de la même manière qu’avec les gilets jaunes, les réseaux sociaux ont accentué ce trait ». Les mécontentements, mutualisés au niveau national, sont l’occasion de mener des actions multiples et coordonnées sur tout le territoire. « Cela a également été le cas, en septembre, du mouvement de grève des raffineries : il a démarré par des mouvements locaux, avant d’être relayé nationalement par les syndicats », poursuit le spécialiste.

Critique de la démocratie représentative

Ces mouvements informels se nourrissent d’une défiance grandissante à l’égard de la représentation syndicale. Sur son groupe Facebook, le CNA se revendique ainsi « apolitique et non syndiqué ». Selon les règles définies par les administrateurs, il est indiqué que les « ASCT se foutent complètement des guéguerres syndicales ». Dans les commentaires, les contrôleurs membres de la page approuvent l’action, postent des observations sur leurs quotidiens et déclarent leur adhésion au collectif… souvent au détriment des syndicats de cheminots. « Excellent le CNA, continuez. On a confiance en VOUS », écrit un certain Benoît. « Ce serait plus démocratique qu’un membre du CNA s’exprime dans les médias plutôt qu’un délégué syndical qui n’est ni ASCT, ni représentatif de la plupart d’entre nous ! », s’agace un autre, surnommé « Sicéron ». Un amas de critiques, qui étaient jusqu’ici plus discrètes. « Cette critique des syndicats est ancienne, mais elle se limitait jusqu’ici à du bouche-à-oreille. Les réseaux sociaux ont libéré la parole », analyse Dominique Andolfatto. A l’image des membres du CNA, le Collectif Inter-Urgences voulait lui aussi se démarquer des centrales syndicales. « Nous nous étions réunis à la suite d’une série d’agressions du personnel aux urgences, se rappelle Marie-Pierre Martin, présidente du Collectif Inter-Urgence. Nous nous demandions pourquoi nos syndicats ne parvenaient pas à résoudre le problème, si cela venait d’un désintérêt à notre égard ».

Jugés trop éloignés des salariés et de leurs préoccupations, les syndicats ont donc été en partie court-circuités par les collectifs. « La critique générale de la démocratie représentative, qui s’est cristallisé pendant les gilets jaunes, touche également les syndicats, note Dominique Andolfatto. Il y a un sentiment diffus, chez certains, que les syndicalistes se sont beaucoup enfermés, notamment à la SNCF, dans une logique co-gestionnaire avec la direction des entreprises, ou épuisés face aux réformes, comme à la SNCF. Ils seraient donc moins en phase avec ceux ». Ces salariés très remontés illustrent une partie de la crise qui touche les organisations syndicales. En 2019, le taux de syndicalisation en France a atteint le taux le plus faible de son histoire, avoisinant environ 7 % des salariés. A titre de comparaison, au moment du Front populaire ou à la Libération, ce taux tutoyait les 50 %.

Distanciation des syndicats et du terrain

Cette grande indifférence pourrait s’accentuer dans les années à venir. « La réforme Macron, qui a provoqué la fusion des instances représentatives du personnel, s’est traduite par une plus grande distanciation entre les syndicats et le terrain », observe François Pichault, professeur de sociologie à HEC Liège et à l’Université Paris Dauphine. Avec les ordonnances Macron passées en 2017, les délégués du personnel, le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont fusionné en une instance unique, le Comité social et économique (CSE). « Nos élus sont accaparés à 100 % sur ces instances, ce qui entraîne leur absence sur le terrain, reconnaît Didier Mathis. Toucher les agents sur des périmètres nationaux devient plus difficile. »

Face à cette absence de contact sur le terrain, les salariés en viendraient donc à chercher à s’organiser eux-mêmes. Ils passeraient, comme le décrivait le chercheur Vincent Pasquier dans une thèse en 2019, d’un syndicalisme « solide » – bureaucratique, formalisé et inscrit dans « le temps long » – à un modèle « liquide » – « fortement digitalisé, en réseau, improvisé, flexible » -, dans lequel les réseaux sociaux jouent un rôle capital. Mais pas question, pourtant, de tout à fait abandonner les instances syndicales : ce sont-elles, après tout, qui peuvent déposer les préavis de grève, ou démarrer des discussions avec la direction. Les collectifs interrogés en ont d’ailleurs bien conscience. « Nous utilisons de nouvelles formes de militantisme, mais nous n’aurions pas pu faire entendre nos revendications sans les syndicats hospitaliers, insiste pour sa part Marie-Pierre Martin. Nous voulons travailler en bonne intelligence ». A la SNCF, la collaboration entre ce collectif spontané et les syndicats se poursuit, alors que des négociations débutent avec la direction ce jeudi.

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